Le métier de typographe selon Alexandre Saumier Demers

5 avril 2018

De la typographie, il y en a partout autour de nous; sur notre boîte de céréales préférée, dans les affiches en transport en commun, sur notre t-shirt ou encore sur l’écran de notre téléphone intelligent. Trop de gens ignorent pourtant que le métier de typographe existe toujours et se développe constamment. En entrevue, découvrez ce métier fascinant avec Alexandre Saumier Demers.

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Racontez-nous un souvenir de jeunesse qui a pu avoir une influence sur votre choix de devenir typographe?

Mes cahiers à dessin du secondaire sont remplis de lettrages copiés de ma collection de disques compacts, j'imagine que ça explique bien des choses! Mais c’est seulement au cégep en graphisme que j’ai compris mon intérêt pour la typographie et les enseignes. Je passais beaucoup de temps à examiner lettre par lettre mes polices de caractères préférées et tous mes projets étaient axés sur la typo. J’ai commencé à dessiner mes propres caractères à travers des logos et des affiches, puisque la tâche de concevoir un alphabet complet me semblait trop imposante et j’avais encore beaucoup à apprendre.

Le typographe est un métier relativement méconnu. Parlez-nous du processus de création d’une police de caractères.

Créer une police de caractères est un processus long et très complexe. Il n’y a pas de recette magique, mais généralement on commence par dessiner quelques lettres de bases qui vont dicter le style pour l’ensemble du système. Dans les bas-de-casse, on débute souvent avec le 'n' et le 'o' qui possèdent beaucoup d’informations sur les droites et les rondes. Puis on ajoute le 'a' et le 'e' qui sont deux lettres très fréquentes de l’alphabet. Chez les capitales, c’est le 'H' et le 'O' pour les formes de bases et ensuite on décline avec le reste. Cette première phase de conception est très courte en comparaison à la production complète des chiffres, caractères accentués, signes de ponctuation, et tous les autres symboles. Sans oublier les déclinaisons de graisses et autres styles, en passant par le crénage et les fonctions comme les ligatures. Bref, un travail de moine! Mais enfin récompensé quand le typographe aperçoit son œuvre sur sa boîte de céréales préférée.

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Un DEC en graphisme à Sherbrooke, un BAC en design à Montréal, un stage en Italie et une maîtrise aux Pays-Bas. Est-ce que les voyages forment les typographes?

Certainement les voyages! C’est la meilleure façon de s’inspirer, surtout lorsqu’on veut dessiner des caractères d’une langue étrangère, car il faut comprendre le contexte. Pour les études, la maîtrise m’a forcée à me lancer en typographie à 100% et enfin consacrer une année entière au dessin de caractères.

Est-ce que les rudimentaire stylo, crayon de plomb et règle font encore partie de vos outils de création?

Certainement, le crayon est mon outil de prédilection. Pour éviter de se limiter aux formes de bases dictées par l’ordinateur, il est primordial de dessiner à la main. Notre alphabet n’est pas composé de formes géométriques! Je travaille beaucoup en itération. Je commence par une première esquisse rapide, puis je retrace sur une nouvelle feuille en corrigeant à chaque nouvelle version. Finalement, je passe à l’ordinateur pour la version définitive.

Vous êtes cofondateur de la fonderie typographique montréalaise Coppers and Brasses. Parlez-nous des défis de lancer une entreprise vouée à la création de fontes.

Ce projet est né d’une collaboration avec mon ami Étienne Aubert Bonn. Tous les deux passionnés par la typo, nous avons partagé notre intérêt dès le BAC en design graphique. Après nos études, nous avons travaillé à temps plein sur le développement de la fonderie. Le fait d’être pratiquement les seuls au Québec était souvent à notre avantage, mais peut occasionner aussi un manque de reconnaissance dans le milieu. Il faut constamment défendre la valeur de notre travail, au même titre que le photographe ou l’illustrateur. Aujourd’hui, j'ai quitté la fonderie pour me concentrer principalement sur le lettrage et les enseignes.

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Caserne ©Coppers and Brasses

Quels sont vos trucs pour trouver vos meilleures idées?

C’est en marchant ou en joggant que mes idées se forment, en l’absence de toute distraction, sans musique, sans téléphone, juste un pied devant l’autre!

En 2017, vous avez fait partie de l’équipe qui a créé la fonte officielle de Radio-Canada. Parlez-nous de ce projet prestigieux.

Concevoir l' «image» du texte derrière tout le contenu d’un diffuseur public est sans doute le projet idéal pour un typographe. Ce projet exceptionnel pour lequel j’ai eu la chance de collaborer avec Charles Daoud et Étienne Aubert Bonn pendant presque un an est composé de 12 styles et supporte plus de 200 langues. C’est grâce à la vision des directeurs artistiques de l’équipe de Radio-Canada, Julie Desilets et Thomas Jonkajtys, que ce projet fût possible.

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©Radio-Canada

On observe un retour en force de lettrages réalisés à la main sur les façades de restaurants et de cafés. Dans une entrevue, vous mentionnez que la rue et ses enseignes sont une grande source d’inspiration pour vous. Est-ce cette passion qui vous a donné envie de vous lancer dans l’aventure des enseignes peintes?

Définitivement! Je suis très heureux de constater cet intérêt dans le monde de la restauration. C’est le genre de projet qui me passionne, en partie parce que j’adore cuisiner et découvrir de nouveaux plats! Mais surtout, je suis convaincu qu’une enseigne peut vraiment contribuer au succès d’un établissement et faire partie de l’expérience culinaire.

Parlez-nous de l'un de vos projets d’enseignes peintes.

Le projet dont je suis le plus fier est celui du casse-croûte Chez Tousignant dans la Petite-Italie de Montréal. J’ai eu la chance de faire partie du processus de création dès le début avec la conception du lettrage de la signature. Puis est venu le temps de concevoir et peindre non seulement la vitrine, mais aussi le menu et la signalisation à l’intérieur du restaurant. J’y retourne quelquefois pour ajouter un nouveau plat sur le menu ou pour savourer un cheeseburger avec une bière de gingembre!

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Quelles sont vos autres sources d’inspiration ?

C’est tellement facile de se perdre sur Internet (merci Instagram!) mais la meilleure façon de voir du nouveau c’est de voyager avec un appareil photo. Quand j’ai la chance de visiter une ville, Montréal y compris, je prends plusieurs photos de vitrines ou d'enseignes de tous genres. Je consulte souvent ces albums quand je cherche à reproduire une certaine ambiance. En me comparant à toute une ville, je me pousse à toujours aller plus loin.

Parlez-nous d’une œuvre de vos pairs que vous affectionnez particulièrement ou qui vous a marquée.

J’ai eu la chance d’apprendre les rudiments du lettrage à la main en suivant un atelier de 3 jours avec Pierre Tardif, un lettreur de Québec qui a plus de 25 ans d’expérience dans le métier. En plus d’être extrêmement talentueux, Pierre partage généreusement ses connaissances et sa passion. Il est derrière quelques-unes des plus belles vitrines à Montréal, dont la Taverne Square Dominion et son voisin le Balsam Inn. À voir absolument!

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Quels sont les prochains projets qui sommeillent dans la tête d’Alexandre Saumier Demers ?

J’ai récemment uni mes forces avec Malcolm McCormick, un autre artiste passionné d’enseignes, pour former le duo 2 Lettreurs. Nous offrons nos services de conception et de production pour plusieurs types de projets: lettrages, vitrines, enseignes, murales, feuilles d’or et autres!

Qu’est-ce qui vous fait encore rêver ?

J’adore apprendre. N’importe quel projet qui exige un style unique ou une nouvelle technique me passionne. Ça explique pourquoi j’adore le lettrage et les enseignes peintes. Mais tant qu’à rêver, j’aimerais vraiment lettrer un food truck. Des intéressés?

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Pour en savoir plus sur Alexandre Saumier Demers
Siteweb officiel
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