Jeter l'encre : Jonathan Bécotte

20 mars 2018

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Deuxième de quatre entrevues avec de nouvelles voix de la littérature d'ici, menée par Claudia Larochelle.

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Tout le monde ma parlait de Jonathan Bécotte. Je trouvais qu’il avait le nom le plus romantique de la Terre, alors je me suis dis qu’il fallait que je lise ce « bécotteux » que les jeunes lecteur.rice.s comme ma filleule semblent adorer. Souffler dans la cassette et Maman veut partir tirent les ficelles émotives avec grand génie.

Voici quelques facettes de sa personnalité…

 

Claudia : As-tu toujours rêvé d’écrire, de publier ? Il était comment le tout jeune Bécotte?

Jonathan : Toujours. Même à l’école primaire. Tommy, qu’est-ce que tu veux devenir quand tu seras plus vieux ? Pompier. – Et toi Stéphanie ? – Vétérinaire. – Jonathan toi, qu’est-ce que tu veux faire plus tard. – Écrire. Ça a toujours été un espace dans lequel je me sentais à ma place. Quand je passe plusieurs jours sans écrire, je sens que je m’éloigne de qui je suis. Mon rêve c’était de publier un livre avant mes 30 ans.

J’ai toujours aimé faire lire ce que je fais à mes amis, mes proches… De pouvoir maintenant faire lire à des gens que je ne connais même pas, c’est une chance inouïe que je chéris chaque jour. Quand je reçois les commentaires, les partages des lecteurs, ça me touche profondément. Je suis vraiment reconnaissant. Merci à ma maison d’édition, de me permettre de rejoindre des gens à travers le Québec.

Claudia : As-tu eu le luxe de choisir ton éditeur ou ce n’était pas ton premier choix ?

Jonathan : Je suis passé par le processus le plus typique possible : 20 manuscrits dans 20 enveloppes vers 20 maisons. Leméac est la première maison qui est revenue vers moi avec une réponse positive. Je me souviens de cette première rencontre avec mon éditeur, Maxime. C’est une des plus belles rencontres que j’ai faites dans ma vie.

souffler dans la cassette

Souffler dans la cassette, premier roman de Jonathan Bécotte, publié en 2017  chez Leméac.

Claudia : As-tu un jour espoir de pouvoir gagner ta vie avec ta plume ?

Jonathan : Pouvoir écrire chaque jour, en vivre, je crois que c’est le fantasme de beaucoup d’auteurs. Oui, vraiment, j’aimerais ça vivre de ma plume. D’un autre côté, j’adore travailler avec les enfants. Ils sont tellement inspirants. Je suis à ma deuxième année à l’université Concordia, en enseignement au primaire. Je crois que cette carrière en tant que professeur pourrait bien se marier à une carrière d’écrivain. Pas nécessairement parce que mes deux premiers livres sont dans une collection jeunesse (car je n’écris pas juste pour la jeunesse), mais simplement par l’énergie qu’ils dégagent. Le petit garçon en moi, mon enfant intérieur, est encore bien vivant et je crois que mes rencontres avec les jeunes étudiant.e.s en sont grandement responsables. Leur regard sur la vie est fascinant. Ce sont tous des poètes. Leurs histoires sont hallucinantes.

Claudia : Fut un temps où les écrivains faisaient la fête, abusaient de substances illicites, noyaient leurs chagrins dans l’alcool… Notre présente époque est très loin de ce mythe du romancier torturé qui dérape. Es-tu d’accord pour dire que ta génération d’auteur.e.s. est bien sage ?

Jonathan : On est wild à notre manière, je pense (rires). Plus honnêtement, je pense qu’avec l’omniprésence des médias, les gens font plus attention à ce qu’ils font. Et c’est peut-être mieux comme ça. Toutefois, je pense qu’il est important de faire la fête, mais je suis convaincu que c’est toujours possible de le faire sans avoir besoin d’abuser de substances qui nous font perdre complètement le contrôle sur nous-mêmes. Ça ne me fait pas à moi, la perte de contrôle complète. C’est quelque chose d’hyper anxiogène pour moi. Je ne juge pas, par contre. C’est personnel. Je ne dis pas que j’ai toujours été si sage, et je dois avouer que je trouve très sexy l’image d’une écrivaine ou d’un écrivain, une cigarette au bec, une coupe de vin à la main. Il s’agit de ma vision romantique de l’artiste au travail : des cercles de fumées au-dessus de la tête, des lèvres un peu violacées, les doigts crispés sur une plume… Et si on veut pousser encore plus loin : un chat perché sur le coin du bureau. Miaou!

Claudia : Il est très très difficile d’avoir une « chambre à soi » pour écrire quand on est jeunes parents… (Je sais de quoi je parle, mautadine !) J’ignore si tu veux des enfants un jour, mais appréhendes-tu cette situation ?

Jonathan : Je crois qu’il est primordial pour un écrivain d’avoir son espace pour écrire. Je vis dans un petit appartement sur le Plateau Mont-Royal avec mon amoureux, et j’ai mon petit mètre carré de bureau vers lequel je peux me rendre quand j’ai envie d’écrire. Un jour, on aimerait avoir des enfants, alors, oui, nous devrons trouver un endroit dans lequel une pièce sera consacrée à mon espace d’écriture. C’est un besoin, pas un luxe.

Un robe accrochée à une corde à linge sur la couverture du roman Maman veut partir

Maman veut partir, deuxième roman de Jonathan Bécotte, publié en 2018 chez Leméac.

Claudia : Existe-t-il une certaine collégialité entre auteur.e.s de ta génération ou, au contraire, tu sens une certaine forme de rivalité ?

Jonathan : Je suis content de me faire poser cette question. Je pense que ça va même au-delà de la collégialité ; c’est pratiquement une famille. Une famille éloignée, parce qu’on n’a pas la chance de pouvoir tous se rencontrer sous un même toit en même temps (peut-être à part dans les salons) mais un sentiment d’union. Comme des cousins d’écriture. À travers les médias sociaux (Instagram, Facebook, Goodreads), je suis en contact avec plusieurs auteurs de ma génération. Des plus jeunes, des plus vieux. Et j’étendrais cette famille pour inclure les libraires et toutes les personnes impliquées de loin ou de près dans la littérature au Québec (booktubeurs, critiques, professeurs, lecteurs, éditeurs, distributeurs, etc.).

Personnellement, je suis la carrière de plusieurs dizaines de collègues du milieu, de jeunes auteurs de la relève, et je suis fier lorsque j’apprends qu’il y en a un.e. qui a remporté un prix… ou qui sort un nouveau livre.  On a vraiment de la chance d’avoir une génération bouillante en talent. J’ai des noms qui me viennent en tête, pleins de noms. Personnellement, je me suis senti vraiment accueilli après la sortie de mon premier livre ; comme si je rencontrais des cousins lointains. On tisse des liens plus forts avec certains auteurs, mais je pense qu’il y a une notion unanime de respect dans la communauté littéraire au Québec. Chacun écrit à sa manière, à son style et sa forme, alors, ce serait vraiment insensé d’entrer en compétition les uns contre les autres.

Claudia : Tu ne lis que des livres écrits par des femmes, ce qui me réjouit, bien sûr, mais pourquoi penses-tu qu’elles te marquent autant ?

Jonathan : Personnellement, je lis pratiquement juste des livres écrits par des écrivaines. Pièces de théâtre, romans, recueils de poésie, etc.  Nelly Arcan, Sarah Kane, Élise Turcotte, Clara B.-Turcotte, Marie Uguay, Suzanne Jacob, Laura Kasischke, Anne Hébert sont quelques-unes des centaines de femmes qui m’inspirent. Les femmes sont omniprésentes dans mon monde. J’ai perdu ma mère, il y a deux ans. À son départ, c’est comme si elle s’était dissoute en poussière d’étoiles que je retrouve dans le cœur de toutes les femmes qui font partie de ma vie. J’ai plusieurs mamans : maman des mots, maman spirituelle, belle-maman, maman adoptive, maman d’école... J’ai aussi plusieurs sœurs : petite sœur d’école, grande sœur de l’enfance, sœur d’écriture… Je retrouve dans la compagnie des femmes mon équilibre et un écho à ma sensibilité. Je ne pense pas avoir vraiment répondu à la question, mais je pense évoquer mon amour/respect profond pour la femme. C’est un élan urgent, féministe.

Claudia : Crains-tu la critique ?

Jonathan : Je mentirais en te répondant non. Je mentirais également en disant qu’une critique négative ne fait pas mal. Mais je lis toutes les critiques. TOUTES ! La plupart du temps, elles me font sourire et je suis reconnaissant de la vitrine offerte par la ou le critique.

Je pense qu’un travail en profondeur avec un éditeur peut éviter une critique complètement négative. C’est-à-dire, que le livre devrait sortir seulement quand il est prêt, quand l’auteur est pleinement satisfait de son travail, quand son éditeur lui donne le feu vert. Les corrections ne devraient pas être un processus restreint dans le temps, qui s’opère sous pression. Au contraire, c’est une étape critique.

Il faut aussi apprendre à distinguer l’appréciation (j’aime ou je n’aime pas) de la critique. On ne peut pas plaire à tout le monde (même si on aimerait ça). Et même si c’est difficile, il faut accepter cette réalité et retourner vers les lecteurs qui aiment ce que tu fais.

Michel Tremblay disait en entrevue dernièrement qu’il n’écrivait pas pour plaire, qu’il écrivait pour lui-même, et que si ça lui plaisait, et bien, que ça devrait plaire à d’autres. Je trouve que c’est une bien sage façon de voir l’acte de l’écriture. C’est une philosophie que j’essaie d’adopter.

Jonathan Bécotte