La certitude ébranlée par la parole libérée

13 février 2018

Couverture du livre de Marie Demers, Les désordres amoureux

Couverture du livre de Marie Demers, Les désordres amoureux

L’illustration sincère des élans d’affection est-elle une mise à mort du romantisme traditionnel? Donner la parole aux autrices actuelles permet-il de donner une nouvelle perspective aux relations amoureuses?

Quand des autrices prennent la parole pour refléter le réel amoureux dans des fictions modernes, le sentiment qui en jaillit le plus souvent est une forme de déception amère. Face à l’insupportable absence de certitudes, face aux difficultés de communication avec des partenaires silencieux ou émotionnellement paresseux, face au réel : le sentiment d’être jetable, l’impression de se trahir pour un lâche, la lassitude face aux possibilités redondantes des soirées sans saveur…

Des femmes savantes

Avec des œuvres littéraires comme Prague, de Maude Veilleux, Les femmes savantes, de Chloé Savoie Bernard ou Les désordres amoureux de Marie Demers, on perçoit une double rupture. Rupture assumée avec certains hommes émotionnellement paresseux, mais rupture également avec un romantisme de l’abandon, de la confiance excessive, de l’adulation. Il y a dans la recherche excessive de l’autre une fuite de soi, et ces œuvres rappellent l’importance de se connaître soi, surtout, avant de dresser des autels à l’autre.

Dans ces textes, une œuvre comme Un jour je te dirai tout de Brigitte Haentjens relève de l’anachronisme farfelu : la fusion soudaine des corps, entre deux étrangers infatigablement compatibles, pour qui le bonheur rime avec l’éphémère. Le prix de l’amour absolu, c’est la disparition de celui-ci. Comme LAmant de Marguerite Duras qui disparaît, qui n’avait jamais aucune chance de rester, ou chez les partenaires lesbiennes des fictions pulpeuses canadiennes des années 70 : on a le droit de goûter au bonheur seulement si on accepte qu’on ne le retrouvera plus jamais.

Les acquis amoureux sont ébranlés chez les autrices dans la trentaine, pour qui les fantasmes de type Harlequin relèvent d’un ringard rébarbatif à mille lieues de leurs besoins érotiques, à la croisée des chemins entre leurs convictions et leurs désirs parfois contradictoires.

Couverture du livre de Niviaq Korneliussen, Homo sapienne

Couverture du livre de Niviaq Korneliussen, Homo sapienne

Transmission

Et cette génération marque la suivante, alors que les questionnements existentiels, les épiphanies liées aux questions du genre, se transmettent de femmes en filles : Homo Sapiennede Niviaq Korneliussen, c’est cette disparition accélérée des conventions contraignantes, ce refus devenu naturel du modèle dominant, où l’attirance envers son propre sexe, l’identité trans et les amitiés complexes se sont naturellement intégrées dans le quotidien d’une génération.

Alors que les voix féminines relevaient de l’exception censurée en littérature, la révolution discursive faite de hashtags, de licenciements, de manifestations, de dénonciations, d’efforts collectifs, d’acceptation des corps et du refus ferme d’une infériorité millénaire imposée violemment se sent dans chaque ligne d’un courant littéraire qui se devait de naître.

Il est temps, donc, de se connaître, avant de s’aimer, et de voir ensuite les tempêtes que cet amour peut générer. Et si la libération peut parfois être amère, c’est qu’elle élimine le goût de la certitude et de la soumission.