Un guide pour réveiller l'auteur en soi

7 octobre 2016

Mylène Fortin n'a jamais souffert du syndrome de la page blanche. Les idées et les projets se bousculent sans cesse dans la tête de l'auteure matanaise, dont le second roman paraîtra au printemps prochain. Celle qui anime des ateliers de création littéraire depuis plusieurs années et étudie au doctorat en création littéraire à l'UQAR vient tout juste de publier un guide d'improvisations littéraires aux Éditions Québec Amérique. L'ouvrage a immédiatement piqué notre curiosité.

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Avec ses quelque 300 pages, Noir sur blanc est un outil qui a le potentiel de plaire autant aux écrivains d'expérience qu'aux auteurs du dimanche. L'ouvrage est divisé en cinq parties (1. ayez du style, 2. musclez votre créativité, 3. inspirez-vous d'auteurs québécois, 4. vivez, rêvez, transposez, 5. repassez les faux-plis) et propose une pléthore d'exercices présentés de façon simple et efficace, exemplifiés d'agréable façon par les soins de l'auteure (voyez l'exemple à la fin de l'article).

Certains exercices peuvent s'accomplir en aussi peu que dix minutes, d'autres exigent qu'on investisse un peu plus de temps, certains sont amusants alors que d'autres encore nécessitent une bonne dose d'introspection. Chacun y trouvera forcément son compte, selon son envie du moment. L'ouvrage peut autant être utiliser pour travailler sur un seul texte, qui se construit au fil des improvisations, que pour écrire une série de courts textes sans lien les uns avec les autres.

Nous avons eu le plaisir de discuter avec la pétillante écrivaine au sujet de cet ingénieux ouvrage, qui promet plusieurs heures de plaisir créatif.

Pour commencer, peux-tu nous présenter brièvement ton livre et nous dire comment l'idée t'est venue? 

C'est vraiment un guide d'improvisations littéraires. Le mot «improvisation» n'est pas anodin : le but, c'est d'écrire là, dans le moment, de se jeter à l'eau sans se juger. L'idée m'est venue de concevoir ce guide alors que je donnais des ateliers de création littéraire et que je cherchais des idées pour les animer. J'ai fait un bac et une maîtrise en création littéraire, mais de transmettre mon bagage de connaissances et d'expérience à d'autres, c'est différent.

Dans mes recherches, j'ai remarqué qu'il y avait beaucoup de méthodes axées sur le développement personnel. C'est un sujet qui m'intéresse beaucoup, donc j'ai lu tout ce que j'ai pu trouver.  J'aime ce qui fait du bien, ce qui permet de se débarrasser de sentiments inutiles et d'idées encombrantes. Mais la création littéraire, évidemment, ça ne se résume pas à ça. Il existe également des méthodes très pédagogiques, précises et concrètes. Moi, j'ai voulu intégrer ces deux aspects, j'avais envie que ce soit festif et rigoureux à la fois. C'est donc ce ton-là que j'ai cherché à développer, un ton authentique très près de ma personnalité.

Est-ce que ça s'enseigne réellement, la création littéraire?

Je ne dis pas aux gens comment écrire, je les invite plutôt à observer ce qui se passe en eux et surtout devant eux sur la page. J''aime beaucoup les gens et j'essaye d'aller chercher ce qui est vibrant à l'intérieur de chacun, de les aider à puiser en eux-mêmes, à trouver leur couleur et faire en sorte qu'elle transparaisse dans le texte. Il n'y pas une seule façon d'enseigner la création littéraire, ce n'est pas une science exacte. En France, le courant de pensée dominant, c'est que ça ne s'enseigne pas du tout. C'est à l'opposé des États-Unis, où il y a des gens qui proposent des recettes très précises. Moi, j'ai fait quelque chose qui correspondait à ma vision. Et après cinq ans à donner des ateliers et à tester chaque exercice, ça m'a permis de les peaufiner. Quand je voyais qu'une personne avait de la difficulté avec une consigne, je pouvais ajuster le tir. Au bout de quelques années, l'idée d'écrire ce livre-là s'est imposée.

En quoi se servir d'un guide est-il différent de suivre un atelier?

Ce que je constate, c'est que lorsqu'on participe à un atelier, il faut que ça se passe à ce moment précis, et parfois ce n'est pas tout le monde qui est dans le «mood» avec le style ou le thème de l'atelier proposé. Tandis qu'avec un guide, on peut naviguer dedans, selon l'humeur du jour. Parfois on a envie d'aller vers quelque choses de plus pointu, parfois, on a envie d'être plus personnel, à d'autres moments, on a plutôt envie de retravailler des textes qu'on a écrits auparavant. Le guide permet ça. L'animatrice n'est pas toujours disponible pour t'accompagner et répondre à tes questions, mais le guide est là pour toi, jour et nuit!

À qui s'adresse ce livre? 

Je pense que ça s'adresse à un public très large, de 7 à 117 ans, néophytes ou aguerris. Ça peut aider quelqu'un qui n'a jamais osé écrire et qui veut comprendre comment s'y prendre, mais pour qui l'idée de s'inscrire à un atelier peut être effrayante. À la limite, quelqu’un qui n’a pas l’intention d’écrire, mais qui est curieux de voir comment les auteurs s’y prennent. Ça peut aussi aider à former de bons lecteurs. Quand on voit comment on écrit, on réalise combien ça peut être complexe d’écrire une description assez forte qui aura le pouvoir de faire ressentir une émotion ou une atmosphère, mais il existe des procédés assez simples pour y parvenir. Il faut juste les connaître et s’amuser avec.Le guide peut aussi servir à quelqu'un qui a un projet d'écriture en chantier et qui a besoin de débloquer, de se donner des ressorts. Le exercices sont comme des petits tremplins qui peuvent aider à propulser des idées, sans être contraignants.

Si vous aviez à suggérer un mode d'emploi?

Je pense que l'important, c'est d'être discipliné dans le temps, pas de suivre l'ordre du livre. Je recommande de faire au moins un exercice de son choix par semaine, ou idéalement par jour. Quand on laisse passer une semaine, c'est fou le temps dont on a besoin pour s'y replonger après. Alors que quand on est régulier et qu'on y passe une heure par semaine, ou idéalement chaque deux jours, ce qu'on a écrit finit par nous accompagner partout. Ça nous suit au travail, pendant qu'on fait du sport, pendant qu'on cuisine... Ça nous habille, et lorsqu'on y retourne, on ajoute une couche. Dans un processus créatif, la roue doit tourner constamment. À chacun de se lancer ses propres défis!

Est-ce que tu as des exercices préférés dans ton livre?

Ce n'est pas facile de répondre à cette question. Quand je donne des ateliers, il arrive que je sois vraiment enthousiaste à propos d'une exercice et que ça ne lève pas particulièrement avec le groupe. L'inverse peut aussi arriver. Mais je dois dire que j'ai un faible pour Lettre amour à soi-même. Quand j'ai des amis qui traversent une période difficile, c'est toujours celui que je recommande, il surprend, déstabilise, ouvre le coeur et l'esprit.

Selon toi, qu'est-ce qui nuit aux gens qui veulent écrire mais  qui n'y parviennent pas?

Je crois qu'il y a beaucoup de gens qui veulent écrire «THE book». Moi, j'étais sûre qu'à 25 ans, j'allais avoir publié mon premier livre, mais finalement je l'ai écrit à 35 ans. Ça a été un exercice d'humilité. Je l'ai écrit avec deux enfants, dont un collé au sein. Il a fallu que j'accepte que j'allais faire ma petite affaire. Je crois que certains sont trop attachés au résultat et ne comprennent pas qu'une fois que le livre est publié, ça ne change pas ta vie. Il ne faut pas le faire pour la reconnaissance, mais bien pour l'amour du travail. Quand mon premier roman a été publié, je pensais déjà seulement à écrire le suivant. J'aime ça travailler les paragraphes, les pages. Je pense que si on n'aime pas le processus, on passe à côté de l'essentiel. Aussi, comme dans toute discipline selon moi, on peut avoir l’impression de régresser quand on suit des cours de création. Comme si l’utilisation de nouveaux outils masquait pour un moment notre « talent brut ». Mais il faut savoir que ce « recul » est essentiel pour progresser. Il faut accepter de se mettre en danger et tolérer le déséquilibre.

Un exemple d'exercice tiré du livre Noir sur blanc de Mylène Fortin

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Vous pouvez vous procurer le guide d'improvisations littéraires Noir sur blanc en librairie dès maintenant. Mylène Fortin a publié le roman Philippe H. ou La Malencontre en 2015. Son deuxième roman Philippe H. dans l'angle mort paraîtra en 2017, toujours aux Éditions Québec Amérique.