Les 15 ans des Éditions de la Pastèque au Musée des Beaux Arts de Montréal

Je suis allée voir l’exposition qui souligne les 15 ans des Éditions de La Pastèque au Musée des Beaux-Arts de Montréal et j’ai adoré! Ça m’a fait réaliser, à quel point une salle consacrée en permanence à la BD, au même titre que les arts décoratifs serait à propos. Cette exposition nous présente une petite sélection du talent d’ici en bande dessinée.

Le dynamisme de la BD au Québec

En 15 ans, les Éditions de la Pastèque ont réussi à modifier le regard que le grand public portait sur le 9e art au Québec. Ils ont su créer un effet d’entrainement dans le milieu, qui aujourd’hui compte plusieurs maisons d’édition dynamiques consacrées à la bande dessinée , telles les éditions Pow Pow, La mauvaise Tête, Front Froid, Colosse et  Mécanique Générale.

La bande dessinée, qu'on croyait destinée uniquement aux «enfants» ou aux «geeks» ou qui était perçue comme une curiosité toute «française» a enfin acquis ses lettres de noblesse au Québec. Plusieurs facteurs ont favorisé ce dynamisme. En plus de la création des Éditions de la Pastèque, le web et les réseaux sociaux auront permis aux jeunes auteurs de faire connaître leur travail sans dépendre des médias traditionnels.

Également, l’immigration au Québec il y a environ 10 ans de Régis Loisel, grand auteur français de bande dessinée. Par sa générosité en temps, conseils et encouragements offerts aux jeunes auteurs, il a eu son petit impact dans le milieu. Notre écosystème a aussi une particularité toute québécoise: le grand nombre de femmes parmi les auteurs de la relève. On ne doit pas être très loin de la parité!

Mais revenons à notre exposition...

Leif Tande, a dû se dire « pourquoi sélectionner une seule oeuvre, quand je peux en avoir plusieurs? ». Je vous recommande fortement de prendre le temps de lire chacune des planches. Nous avons droit aux pensées intimes de chaque oeuvre, j’ai trouvé ça très très drôle. Ça vaut la peine de faire l’effort, même si le texte est petit et que certaines planches soient accrochées un peu haut.

Patrick Doyon et son lapin qui annonce la fin du monde unissent dans un savoureux mélange le « cute » et « l’ironie ». Les planches de Patrick ont été sérigraphiées par Sophie Joubarne de l’atelier UNIK Print Shop et le résultat est magnifique. Chaque planche est en deux couleurs et l’ensemble est très cohérent graphiquement. En design graphique, on dit souvent « Less is More » et ce projet en est un bon exemple.

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J’ai un amour particulier pour le travail de Siris La Poule. Il y a des univers d'auteurs dont on tombe complètement sous le charme. Siris est un artiste sensible d’une grande humanité dont les histoires reflètent la poésie parfois douloureuse du quotidien. C’est une sculpture de Pierre Ayot qui a retenu son attention. Et comme le travail de Siris, semblable à un oignon, est composé de plusieurs couches, je vous invite à chercher les 3 clins d’oeil à l’oeuvre de cet artiste que Siris a incorporé dans son histoire. Ne me demandez pas lesquels, je n’ai pas encore trouvé!

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Michel Rabagliati, grand amoureux de l’art publicitaire, met en scène un affichiste aux prises avec une bourrasque de vent qui aura un effet inattendu sur son travail. Le lien avec la toile de Miro est astucieux. Michel maîtrise parfaitement les codes du « comic strip », où en peu de cases le bédéiste doit amener une chute qui déclenchera le rire du lecteur.

Rémy Simarda choisi un objet de design industriel. Ça touche une corde sensible chez moi. J’apprécie la beauté de ces objets du quotidien qu’on ne remarque plus. Ce qui m’épate c’est qu’à partir d’un tourniquet de John Vassos, créé vers les années 30, Rémy a développé une histoire hyper tendre, mignonne, pleine de douceur.

Jean-Paul Eid nous transporte en 1929 sur les traces des Hobos pendant la grande dépression. J’ai appris un truc fascinant en lien avec l’écriture. Je ne vous en dis pas plus pour vous laisser la surprise. C’est peut-être parce que Jean-Paul travaille fréquemment en collaboration avec des musées, mais c’est avec son histoire que j’ai appris le plus de choses.

Pour rester dans le thème de l’histoire, Réal Godbout nous fait découvrir un morceau de l’évolution du bord du fleuve en s’inspirant d’une eau-forte de Marc-Aurèle Fortin. Ce mec est un malade du détail ! Prenez deux minutes de plus devant chaque case pour en admirer le travail minutieux.

Isabelle Arsenault nous offre un poème environnemental en image. C’est émouvant, troublant. On est plongé dans un malaise, baigné de beauté. Le propos retrace un événement tragique lorsque des oiseaux sont morts dans un bassin de décantation en Alberta.

Cyril Doisneau a choisi une affiche des années 50 de Josef Muller-Brockmann, qui représente bien ce qu’on appelle l’école Suisse en design graphique. En mixant collage et dessin, Cyril a repris les codes graphiques de l’affiche à son compte et, sans sacrifier l’histoire, il s’est échappé de la structure traditionnelle de la BD.

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J’ai découvert que je partageais avec Pascal Blanchet un fervent amour pour l’objet « Chaise ». C’est une chaise des designers Charles Eames et Ray Kaiser Eames, qui est un peu comme un ruban en contreplaqué moulé, qui servira d’inspiration. Un objet qui colle parfaitement à son style d’illustration qui pour l’occasion s’exprime sur une toile.

Pascal Girard a sélectionné un dessin de Sharni Pootoogook, dont je trouve que le graphisme ressemble à son propre travail. Sur le coup, j’ai cru que c’était son illustration. Comme il est intéressant de pouvoir comparer le travail de deux artistes que tout sépare! Pascal est originaire de Jonquière et Sharni du Nunavut, et pourtant leurs mondes artistiques semblent se rejoindre.

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Pascal Colpron a choisi un buste représentant le frère de l’artiste Sylvia Daoust. Il en a profité pour se mettre en scène en prenant carrément la place du modèle. Cette exposition m’aura permis de découvrir plein d’artistes dont plusieurs sont des femmes. Je trouve ça chouette, car je connais peu l’histoire de l’art au féminin.

À partir d’un tissu imprimé, Janice Nadeau nous raconte le mariage de ses parents en hiver. Couleurs aquarelle, dessin à l’encre, qui rappelle ceux des enfants sans être enfantin. Paul Bordeleau, avec une oeuvre de Serge LeMoyne sur le thème du hockey, nous présente un papa amateur d’art qui utilise le prétexte du hockey pour partager sa passion avec son fils. Deux thèmes qui font partie de notre identité collective. La bienveillance qui se dégage de ces deux histoires est à mon avis emblématique de la société québécoise.

Les illustrations de Marc Simard/Marsi sont construites sur une grille géométrique. Lorsqu’on regarde son travail, on sent la structure sans qu'elle soit envahissante. C’est le genre de petit détail que j’apprécie en tant que designer graphique. Il faut regarder la vidéo qui présente chacun des auteurs pour bien comprendre.

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La vidéo de présentation

Même si elle dure 42 minutes, cette vidéo vaut la peine d’être regardée jusqu’au bout. Vous y découvrirez chaque artiste, sa démarche, son travail d’auteur et de petites anecdotes fort intéressantes.

Ce film a été divisé en capsules et chaque semaine le musée met en ligne un des 15 portraits vidéo sur sa page web. Une application pour iPhone « 15 ans La Pastèque » est aussi disponible. Cette petite application est fort sympathique pour ceux qui ne connaissent pas beaucoup l’univers de la BD au Québec. Dans la section « Exposition », chaque artiste a une petite fiche avec une courte biographie, une présentation de son travail pour l’exposition et sa bibliographie. C’est court, mais ça fait  la job.

Seulement 2 petits Bémols,

1- Le son de la vidéo n’était pas assez fort, j’en ai fait le commentaire à l’accueil, ils devraient avoir ajusté le son. Je l’espère, car le moindre chuchotement empêche les gens agglutinés sous les haut-parleurs d’entendre le propos.

2- Pourquoi Iris Boudreau et Catherine Lamontagne-Drolet ne font pas partie de la sélection ? Quantité limitée d’auteurs pour respecter le concept : 15 auteurs pour 15 ans ? Je trouve ça dommage, je réclame une tome 2 de cette exposition! :D